Déformatage en cours…
Avez-vous déjà remarqué à quel point nous sommes boulimiques d’images prédigérées ? Jour après jour, on nous propose de nous nourrir d’images à profusion. Des images toute faites, prêtes à l’emploi, qu’il n’y a plus qu’à passer sur nos écrans pour avaler encore et encore, sans réfléchir, sans se donner de mal. On a fabriqué l’image pour nous, on l’a pensée à notre place, pour ensuite la vomir et nous permettre d’avaler cette bouillie infecte sans effort. Bon appétit !
De temps à autre, il m’arrive d’avoir des moments de lucidité… Je me retrouve là, à faire tout et n’importe quoi, quand soudain ma conscience s’éveille. L’instant est étrange, c’est comme si je revenais une nouvelle fois au monde, comme lorsque vous plongez en apnée et que vous revenez ensuite à la surface pour reprendre de l’air. A cet instant, j’ai conscience du monde, j’ai conscience d’exister, d’avoir une âme, de souffrir et j’ai peur… J’ai mal aussi ! Cette douleur est profonde, elle s’insurge dans tout mon système nerveux. Ces instants ne durent que l’espace de quelques secondes, ma conscience replonge dans les limbes de son sommeil aussi vite, comme si les démons de l’enfer la tiraient vers le bas. Tous les matins, nous nous levons, pour marcher, nous rendre machinalement d’un point A à un point B. Pour la plupart d’entre nous, il n’y a pas vraiment d’absolu en la matière… On marche, on se croise, sans se bousculer, sans regarder, sans entendre, sans rien faire qu’avancer aveuglément. Pour d’autres, le formatage ne fonctionne pas toujours à cent pourcent. Dans ce cas de figure, deux possibilités s’offrent à nous : soit jouer la carte la plus dangereuse, laisser apercevoir la faille dans la programmation, soit faire semblant que le formatage fonctionne et attendre. Pour celles et ceux qui décident de sortir du rang, une lame de rasoir qui caresse nos veines a plus ou moins le même taux de chance de vous conduire à la folie. La matrice n’aime pas nous voir sortir du rang, une fois repérés, il ne nous restera plus qu’à nous faire scanner et si nous ne sommes pas rattrapables, plus personne n’entendra parler de nous. Alors les plus intelligents, une fois conscients de cela, nous nous efforçons de faire semblant, de convaincre et de ne pas nous faire repérer. Nous attendons, dépourvus d’avenir et d’horizon.
Les heures passent, mais le son de la pendule a disparu… Ce tic tac meurtrier avait pour effet de nous agacer, l’agacement est un vice, le vice une douleur et cette douleur nous rappelle que nous sommes en vie. Alors pour mieux nous endormir, le bruit a été avorté, à grands coups de technologie. Vous ouvrez les yeux, mais la machine décide. Elle avale vos instants, ils ne sont pas productifs… Elle module vos pensées, le déséquilibre est délétère au fonctionnement de toute « bonne » société. Parce que tôt ou tard, il y aura toujours quelqu’un pour remettre en doute. A l’instant même où je tape ces mots sur mon clavier, je m’extrais du cadre tout en ayant conscience de la mort que je suis en train de programmer. C’est comme si je m’auto-dénonçais à la pensée collective. Il ne doit plus me rester que quelques heures à vivre. C’est sûr, ils ne me laisseront pas vivre ! Plus après ce que je viens de comprendre…
Les instants d’éveil n’arrivaient que comme des bugs momentanés du système… Ils étaient parcimonie, mais le temps de quelques secondes, la machine reprenait le contrôle pour me replonger dans son système. Puis vint ce moment, il y a quelques heures ou sans réellement le vouloir, dans un moment d’ennui, j’ai appuyé machinalement sur le bouton Play de la télécommande. Logiquement, j’aurais dû consommer ces images nauséabondes qui n’ont pour but que de nous garder dans le coma machinal. J’avais entendu parler d’un système dans le système, une sorte de programme caché, mis en place par des rebelles, des « conscients » , pour nous permettre d’ouvrir les yeux. On appelle cela le « Black Mirror ». Le système veut que lorsque vous consommez, vos émotions réagissent comme le programme veut vous voir réagir. On nous montre les informations d’un monde qui baigne dans une ultra-violence, pour terminer les journaux télévisés par les images d’un bébé panda né dans un zoo. On nous montre du sang, mais juste après, on nous montre des images douces pour « amortir le trauma » que l’hemoglobine fait subir à nos psychés. La manipulation agit alors à tel point que jamais, au grand jamais, nous n’allons avoir conscience que le bébé panda qui nous fait tant sourire n’est que le fruit d’un viol, sur un animal torturé jour après jour, en captivité, loin de son milieu naturel.
Le « Black Mirror » j’en avais entendu parler, comme on entend parler de tout un tas de choses sans jamais vraiment y croire, à l’image de ces vieilles légendes urbaines qui n’ont pas plus de sens que de crédibilité. Aujourd’hui j’ai conscience que ce programme pirate existe, il a agi sur moi pour mieux me réveiller. Une fois le bouton Play enfoncé, le réveil s’amorce et vous fait prendre conscience de la réalité des choses. La vraie réalité… Où l’on souffre… Où l’on saigne, où l’on pleure, où l’on crie… Ce programme, épisode après épisode vous bouscule, il vous pénètre et vous découpe les paupières à la lame de rasoir pour vous empêcher de fermer les yeux à nouveau, histoire que vous ne replongiez pas dans les limbes du sommeil.
J’entends un bruit dans le couloir, ils arrivent… Ils sont là, les machines aussi. Le système a compris que j’étais sorti du rang, ils ne peuvent pas me laisser continuer. Ils sont en train d’enfoncer ma porte. Si vous lisez ces mots, allez voir ce qu’on appelle « Black Mirror », mais soyez conscients qu’une fois le bouton Play enfoncé, vous ne verrez plus jamais la vie de la même façon. Le monde dans lequel vous pensez vivre n’existe pas, la réalité est autre, faites attention, ils…
…
– fin de signal –
Scylla…

LIENS :
BLACK MIRROR Une série originale NETFLIX Genre Science-fiction : Horreur Satire Thriller Drame Création : Charlie Brooker Pays d’origine : Royaume-Uni Chaîne d’origine : Channel 4 (2011–2014) Netflix (2016 – en cours) Nombre de saisons : 4 Nombre d’épisodes : 19 Durée : de 40 à 90 minutes Diff. originale : 4 décembre 2011 – en production Site web : www.channel4.com/programmes/black-mirror www.netflix.com/title/70264888