Edito #04 Huit pieds sous terre
« Homme, souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras à la poussière ». Le dimanche, c’est l’édito… Je m’épanche sur mon monde comme on se penche sur le monde. Je dépose mes mots sur les maux de la terre… Mes moods comme on jette une bouteille à la mer. Chaque page comme celle d’un livre où je me livre. Une page blanche sur laquelle je dépose une goutte de sang…
Chers journal,
Les jours passent et commencent à tellement se ressembler que j’en arrive à oublier quel jour nous sommes. Heureusement, j’ai mon smartphone qui n’est jamais loin de moi… Et quand on sait que tout est relié à cette technologie, on pourrait presque ne plus s’inquiéter pour le monde. Quoi qu’à mieux y regarder, je commence tout de même à m’interroger… Car dans tout ce chaos qui nous sert de quotidien, aujourd’hui, certaines informations qui me passent sous les yeux me paraissent parfois étranges, presque irréelles, tellement elles pourraient sortir de l’imaginaire mais semblent tout de même bien en adéquation avec notre triste réalité. Un peu comme si le futur voulait me rattraper… Bien que la bienséance voudrait que je tourne ma phrase dans le sens où c’est moi qui le rattrape, sauf que n’ayant absolument pas envie de cela, je me permettrai le pied de nez à toutes règles nécessaires. En effet, je lis, j’entends parler, je vois des informations me faisant écho de technologie… Une application permettant de savoir qui a ou a été atteint du fameux virus qui nous pourrit la vie… Une puce qu’on nous glisserait sous la peau sous prétexte qu’une légèreté un peu plus impudique… Face à une telle réalité, la télévision qui semble un instrument bien obsolète finalement, n’a plus qu’à bien se tenir !
La technologie semble donc bien nous rattraper, un peu comme dans tous ces romans ou ces films qui prédisaient sans réellement le savoir l’asservissement de l’homme avec un grand H, face à la machine qui aurait pris le dessus. Et si comme moi, dans un premier temps, vous regardez cette idée avec beaucoup de recul et de hauteur, ne sommes-nous pas finalement déjà esclaves de tout cela ? Car aujourd’hui, en 2020, c’est la popularité sur certains réseaux sociaux qui décide de qui nous sommes ou ne sommes pas, au même titre qu’elle décide d’une crédibilité… Ou pas ! Pourquoi, lorsque je m’adresse à une marque, la façon dont va dépendre l’accueil de ma démarche sera différente selon mon nombre de followers qu’est le mien ? N’est-ce pas finalement la qualité de mon média, de mon écriture, qui devrait faire la différence ? Pourquoi, lorsqu’un sombre inconnu m’ajoute sur un réseau, devrais-je me soucier de ma distraction, celle-ci permettant à tout le monde et n’importe qui de savoir où et quand je suis… Voire avec qui je suis ? Car, j’ai beau avoir conscience de la fragilité engendrée par mon insouciance… Ou ma naïveté, au bon vouloir… Je m’interroge sur ce fait sinistre de toujours devoir penser au mal, m’inquiéter de cette présence qui rode dans le noir, attendant presque que je m’endorme pour bondir et ne faire qu’une bouchée de ma pauvre petite âme. Aujourd’hui, on me parle donc d’une application, sur mon smartphone, qui me dira, sous une certaine distance qui a ou n’a pas chopé ce putain de virus… Et bien-entendu, un « bel outil » conçu exclusivement pour prévenir au lieu de guérir (triste ironie que cette phrase dans un tel contexte). Ne doutons évidement pas que l’homme saura, comme à son habitude, se contenter d’une bonne utilisation de ce nouvel outil et qu’il n’en détournera pas l’usage, pour mieux ternir.
Loin de moi le sentiment engendré par les discours et idées complotistes… Mais face à de tels rebonds, je continue de m’interroger. On nous parle de technologies, semblables à celles qu’on aime ou aimerait avoir « dans la peau »… A tel point qu’on y laisserait notre fortune. Une technologie qui nous colle tellement à la peau que, sans s’en soucier, celle-ci devient notre plus grande ennemie. Une technologie qui… Sans nous demander notre avis, nous écoute, nous trace, nous traque et nous guide déjà aujourd’hui, dans notre quotidien. Sous prétexte d’une tendance, d’une facilité, d’une efficacité, on se réfugie dans l’utilisation d’objets devenus « de la vie de tous les jours », qui sont de véritables indicateurs, de vrais journaux à livre ouvert du moindre de nos faits et gestes, de nos idées les plus folles aux gens et endroits que nous fréquentons… ces données étant finalement à la portée de presque « n’importe qui » de suffisamment agile pour les hacker. Sauf que mon libre arbitre, cette liberté suprême et absolue qu’on a tendance à perdre derrière nous ces dernières années, reste mon dernier recours… Celui me permettant de dire « STOP » et d’arrêter cette technologie toujours plus vorace de mon intimité. Pas sûr, avec la réflexion que l’idée de « libre arbitre » soit programmée dans une puce qui nous sierait tellement à la peau, qu’elle ne nous laisse qu’un choix « illusoire » de liberté. Loin de moi donc les grandes théories complotistes… Mais si je devais faire passer l’idée sans qu’on ne me pose de question, je tenterais de plonger l’homme dans un tel désarroi qu’il n’ait d’autre seul refuge que la peau… Et on sait toutes les idées qu’on a déjà fait passer à notre humanité, lorsqu’on lui a fait peur !
Et actuellement, cher journal… J’ai peur plus pour cet avenir qui semble me rattraper que de cet avenir même ! Un huitième pied sous terre, à ceux qui se poserai la question, parce que j’ai parfois l’impression que le chiffre sept n’est presque plus suffisant !