Et si l’aliénation m’était contée…
Des pièces proposées par le Escher Theater, je ne vous distille que des aperçus… Je lève un peu le voile sur ce que sera ou pourrait-être, me laisse inviter, m’assieds, admire, aime ou n’aime pas, j’applaudis, me lève et passe à autre chose. Une fois l’instant passé, je vous livre finalement peu mon ressenti… Peut-être un peu par pudeur, ou tout simplement parce que je n’y pense pas. Ce soir, je suis rentré, j’ai balancé mes clefs, enlevé ma veste et décidé de prendre la plume, ce que je ne fais que peu dans ce cas, pour vous parler de cette pièce que je viens de voir : « Pas un pour me dire merci ».
D’autres nuits s’achèvent et les heures sont parfois lourdes… « Pas un pour me dire merci » est une pièce atypique qui pose le décor sur un sujet lourd, bouleversant, anxiogène. L’idée ici évoquée est celle d’une folie qui frappe sans crier gare, qui bouscule une famille dans son quotidien, dans son existence, laissant la trace de sa morsure de façon indélébile gravée dans l’histoire et la chair. Sans trop savoir à quoi vous attendre, vous vous posez sur votre siège, la salle plongée dans l’absence, celle de la foule, garantie d’une sécurité en réponse à l’absurde et la tristesse d’un monde à l’agonie. Sur scène, un décor, un monde à lui seul mais vous ne le savez pas encore… La scène d’un futur crime, qui n’annonce alors que l’inanimé d’un monde en devenir. La nuit, de ses doigts si fragiles, vous plonge dans le silence pour allumer ensuite le jour sur une peine ombre de vie qui ne ressemble pas aux autres. Un repas de famille ayant la particularité de se tenir pendant le bain des enfants.

L’aube à peine sculptée, le ton est donné… Je ne sais pas si on peut spoiler une pièce de théâtre comme on peut le faire avec un film ou une série, puisqu’on ne le peut pour la vie. Mais durant 1h45, celle d’une famille vous étant contée, va défiler, comme la lame d’un couteau rouillé qu’on glisserait avec allégation contre du métal, avec toute la cruauté que cela sous-entend. Les instants de bonheur propres à une famille seront ça et là, frappés parsemés de sourires illogiques, un peu comme lorsqu’on regarde l’instant la tête à l’envers. Une mère, un père, deux sœurs et un frère… Autant d’âmes que de personnalités qui se dessineront, partant de l’esquisse, chacune avec ses forces et ses faiblesses. Un jeu irréprochable, touchant de réalisme, sans exagération mais avec la plus grande des cohérence, à travers une dynamique qui transcendera, minute après minute, une émotion criante de vérité, impudique et crue. Des personnages dont les chemins vont se tracer sous nos yeux, les traits vieillir et se graver dans le bois de la destinée, pour parfois s’éteindre. La rouille cruelle dispersera l’émoi, non stop, sans s’arrêter… Elle ira même jusqu’à vous éclabousser se sa passion intacte. On y évoquera l’idée de la maladie s’installant peu à peu, du questionnement face à l’impuissance et l’incompréhension. S’ensuivront le doute, la culpabilité, la douleur tant physique que mentale, la frustration, la colère, le détachement parfois. La peur face à cet avenir incertain… Le ravage du temps et de sa noirceur dans notre chair, vieillir nous est ici conté.
Au sortir de scène, les applaudissements se taisent et laissent ensuite un profond silence s’installer… La lumière se rallume, les gens se lèvent, les âmes bousculées, les regards interpellés. Sur cette scène, un songe s’est raconté, interprété par 5 artistes de grands talents, un jeu qui frappe, interpellé, attendri tant il est compact et vrai. « Pas un pour me dire merci » est une pièce qui, après un premier sentiment de mal à l’aise, vous plonge dans la vie d’une famille à laquelle nous nous identifierons dans son humanité. Ses personnages maudits nous ont touchés à travers chaque pas posé vers la poussière. J’écris 5 artistes, mais je devrais écrire 6 au minimum, tenant compte pour commencer de ce décor habilement pensé, qui façonne et devient vite, dans sa multifonctionnalité, un élément totalement indispensable de l’histoire, un sixième comédien à part entière. La lumière exhumant les instants, la musique transportant l’émoi, les accessoires donnant à la dimension une perspective tout autre… Autant d’éléments qui déposeront à nos pieds la beauté d’une douleur atroce.
J’ai été touché par cette mise en scène… Je l’ai souvent trouvée vibrante dans l’absurdité de son réalisme. On applaudit les artistes sur scène à trois reprises… On devrait les applaudir encore, encore et encore, sans jamais nous arrêter, car ils apportent au théâtre une dimension humaine, belle et tragique que le cinéma ne sait pas sublimer. Tant ces 5 artistes sur scène, qui m’ont bluffé dans leur interprétation, que ceux invisibles à l’œil, mais dont on devine aisément l’irremplaçabilité. « Pas un pour me dire merci » est une pièce magnifique, sublime, bouleversante. Bravo donc à Renelde Pierlot et Jean Bürlesk pour l’avoir si bien sculptée.
Scylla…

LIENS :
PAS UN POUR ME DIRE MERCI
Escher Theater
120 Rue de l’Alzette
4010 Esch-sur-Alzette
Grand-Duché de Luxembourg
Website : www.theatre.esch.lu
Tél : +352 2754 -5010 ou -5020
E-mail : reservation.theatre@villeesch.lu
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Durée : 1h45 – Durée estimée
Langue : Français
Conception et mise en scène : Renelde Pierlot
Conception et écriture : Jean Bürlesk
Co-écriture : Francesco Mormino
Assistant à la mise en scène : Jonathan Christoph
Scénographie et costumes : Peggy Wurth
Musique : Jorge De Moura
Consultante mouvement : Rhiannon Morgan
Création lumière : Nico Tremblay
Avec : Sophie Langevin, Francesco Mormino, Jorge De Moura, Hélène Van Dyck, Sophie Warnant
Crédit image : Patrick Galbats
Une Production Escher Theater