Coup de sang

Je m’excuse dont je suis…

De nos jours, il semble de bon ton de se laisser porter par la vague… On est Charlie… On est Bruxelles… On est Paris… Parce que la vague de l’émotion nous submerge. Et finalement pourquoi pas ? Ce qui est par contre dommage, c’est la vague une fois passée, lorsque nous semblons vite séchés, oubliant nos belles résolutions, celles-ci bien rangées tout au fond d’un placard. Et puis parfois, on n’est pas… On n’est plus… Ça s’appelle le « politiquement correct ». Ou on est, mais on a un peu honte d’être… On est blancs… On est belges… On est sous contrat… On est à l’abri… Et on semble obligé de s’excuser… Mais s’excuser de quoi au fait ?

Notre société « hyper-connectée » à l’air du temps devrait logiquement faire preuve d’une intelligence presque aussi aseptisée que celle dont parlaient les films de science-fiction des années 60 ou 70 : une intelligence intelligente, presqu’aussi intelligente que celle des ordinateurs, because : nous sommes en 2020… Le futur !!! Et pourtant… Notre cerveau érigé par les réseaux sociaux, soap et autres télé-réalité, ultra-violence et auto-satisfaction et autres auto-destruction à la clef, nous pousse à toujours consommer plus, en grands gourmands que nous sommes. Cette hyper-consommation ne se résume pas à nos iPhones dont la durée de vie se limite à deux ans ou aux food-porn pour lesquels nous faisons parfois la file durant des heures. Cette hyper-consommation nous traduit jusque dans nos veines, dans ce que nous sommes au plus profond, dans nos principes en carton. Ainsi, lorsque quelque chose de « choquant » se passe dans le monde, nous nous transformons en ce que nous semblions ne pas être jusque là… Comme si l’indignation passagère prenait possession de nous pour nous ouvrir les yeux, l’espace de quelques jours et nous ramener  sur le droit chemin… Celui que nous n’avions pas ou plus vu depuis un moment.

Ainsi, depuis quelques semaines, en Belgique, nous sommes à nouveau repliés dans le camp des méchants… Nous sommes belges… Nous sommes blancs… Nous sommes « riches » (vous aurez remarqué les guillemets)… Nous sommes heureux… Et pour ne plus se sentir habités par le personnage du « méchant » nous nous excusons… Pourquoi ? Pour la souffrance que les autres, nos ancêtres, ont infligée autour d’eux. Nous sommes les méchants belges qui avons colonisé… Nous sommes les vilains blancs qui avons  esclavagé… Nous sommes les vilains « riches » qui consommons là où d’autres produisent pour deux fois rien, pour nous… Nous sommes heureux, lorsque l’autre, est malheureux… Nous sommes… Mais ce n’est pas de « notre » faute ! Ne faut-il pas savoir se dédouaner après-tout ?! Et pour une fois, à juste titre… Devrait-on en permanence s’ouvrir les veines, sous prétexte que quelque part dans le monde quelqu’un souffre ? Après avoir été Charlie, Bruxelles, Paris, Milan, devrions-nous devenir « Souffrance » ?
Donc, histoire de mieux dormir la nuit,  nous tentons de nous dédouaner… Le déclencheur de cette nouvelle indignation à sens unique ? Le dernier souffle donné de Georges Floyd sur l’un des trottoirs de Minneapolis. Depuis, en méchants belges que nous sommes… Parce que oui, je ne renie pas toujours mes origines, juste lorsque ça m’arrange, en parfait être humain que je suis, il est de bon ton de nous excuser de notre passé de vilains colonialistes !

La mort de Georges Floyd, après la vague d’émoi suscitée dans le monde, a donc rejoint la longue liste des histoires surréalistes belges, devenant l’affaire « Léopold II ». En effet, ce vilain deuxième roi des belges, de son nom Léopold Louis-Philippe Marie Victor de Saxe-Cobourg-Gotha, né le 9 avril 1835  a, entre autre, largement contribué à la colonisation du Congo, entraînant l’exploitation de tout un peuple. Le raccourci est donc vite fait… On veut des têtes, à défaut de ne plus en avoir une… On se rend compte que le racisme c’est mal, on n’en veut donc plus… Alors on exige de nous des excuses ! Et donc, si je comprends bien, on attendrait aussi de moi que j’écrive un article pour m’excuser d’un passé qui n’est pas le mien, pour des morts et des exactions dont je ne suis absolument pas responsable ? Pourquoi ? Pour satisfaire l’auto-suffisance d’une société hypocrite et bien pensante, en manque de repaires ? Qu’on exige du chef de la Police de Minneapolis qu’il présente des excuses pour le comportement raciste d’un de ces officiers, c’est une chose… Bien que celui-ci, au même titre que ses charmants collègues fautifs, aient été largement sanctionnés pour leur(s) faute(s). Toutefois, on ne poussera pas le bouchon jusqu’à lui demander de s’excuser pour le trafic d’êtres humains qui a eu lieu aux yeux de tous aux States de 1619 à 1865.

Depuis quelques semaines, sur notre joli territoire belge, on déboulonne… On tague… On brûle… On fait tomber la statue de son pied d’estale… On décapite le symbole d’une Histoire qui ne nous convient plus, pour un court instant en tout cas. On ne veut plus de cette descendance, de cette Histoire qui semble nous faire aujourd’hui honte. Mais… A l’instant où je pose ces maux sur le papier, une question vient à moi. Doit-on demander aux jeunes allemands de s’excuser pour le génocide causé par Hitler et sa bande ? Devra-t-on demain demander au peuple turc de s’excuser pour celui sur lequel son gouvernement ferme encore les yeux aujourd’hui ? Demandera-t-on aussi aux africains de présenter leurs excuses pour avoir été exploités par la famille Mobutu ? Dans de tels configurations, il faudra nécessairement demander aux américains (encore eux), qu’ils soient noirs, blanc, rouges ou jaunes, de s’excuser d’avoir osé balancer deux bombes atomiques sur la gueule du Japon… Qui, à son tour, devra s’excuser pour le massacre des Chinois de Nankin… A qui on demandera de s’excuser d’essayer de rayer le Tibet de la carte et d’exploiter l’Afrique. Pensera-t-on enfin, une fois tout ce beau petit monde « en paix » (sans doute pas très longtemps) à lui demander de s’excuser pour la somme incalculable d’animaux tués ou torturés sur l’hôtel de notre toute petite existence ?

Dans notre société, lorsque quelque chose ne nous va pas, on s’excuse, on se dédouane, en rejetant la faute sur nos ancêtres… C’est monnaie courante de leur reprocher d’avoir fait… Ou de ne pas avoir fait, les pauvres. On leur rebalance à la tronche l’utilisation du plastique, la pollution, le nucléaire,  de l’huile de palme… etc. On leur reproche d’avoir su, ou de ne pas avoir su… D’avoir pris des décisions ou de ne pas en avoir pris… Voire de ne pas avoir pris les bonnes décisions. Bref… Nous vivons dans une société qui n’assume pas et qui préfère rejeter la faute sur les autres, histoire de mieux dormir. Mais au final, au lieu de rejeter la faute sur nos pères, en s’excusant au nom de l’hypocrite politiquement correct, ne devrait-on pas, finalement, éteindre nos télévisions, couper nos écrans et déconnecter un peu de cette hyper-connexion qui fait de nous des abrutis de premier ordre ? Plongés dans l’hypo-connexion, nous prendrions peut-être un peu plus de le temps de l’introspection… Je ne suis pas spécialement attaché à l’histoire de mon pays d’origine, j’ai pris soin il y a bien longtemps de laisser le passé redevenir le passé… Mais force est de constater qu’il faut arrêter. Retournons dans les bibliothèques, apprenons à nouveau à ouvrir un livre, à lire, à comprendre, à analyser…  Histoire de grandir un peu… D’évoluer enfin pour gagner cette sage intelligence surdéveloppée que nous prêtaient les rêves de la science-fiction d’antan ! Alors certes, ça ne changera pas le passé, mais à défaut d’autres choses, cela aura au moins pour intéret de nous apprendre à ne plus refaire les mêmes erreurs. Car, à mieux regarder notre terre tourner, nous sommes nous aussi les ancêtres de générations qui devront s’excuser aussi à leur tour… Pour les enfants africains qui triment atout au fond des mines de Cobalt au Congo… Pour ces pauvres femmes des pays de l’Est, de l’Ouest, du Nord ou du Sud, qu’on fait venir dans nos pays, pour les vendre telles des poupées gonflables presqu’aussi vivantes que de nature… Pour les homosexuel(le)s qui sont encore menacés de mort dans sept ou huit pays dans le monde, pour une simple différence… Pour l’autre trafic d’êtres humains en Syrie et en Libye… Enfin, s’excuser encore pour ouvriers asiatiques ne meurent au Qatar, épuisés et déshydratés, pour mieux un stade de foot. Mais ça, en allant dormir le soir, nous n’y pensons pas… Histoire de dormir sur nos deux oreilles… Il sera bien temps d’y penser lors de la prochaine indignation du monde. Celle-là effaçant les précédentes. Sauf que nos ancêtres, eux, avaient l’excuse d’un autre temps…

Alors, dormons mieux.

Scylla…