La Porn-culture incite-t’elle au coït…
L’association des mots « porn » et « culture » vous paraît choquante, absurde, voire rhétorique ? Pourtant, force est de constater que le porno, de son petit nom, est partout et s’impose à tous les niveaux, tout le temps. Mais celle-ci influence-t-elle notre quotidien, jusque dans nos moments les plus intimes ? Mieux encore, au moment de nous poser la question, demandons-nous si celle-ci n’aurait pas un rôle essentiel à y jouer ?
De mon horizon plus ou moins ouvert sur la chose, j’ose imaginer que la question peut s’avérer dérangeante et que cet article mettra en danger la durée de vie du blog sur certains navigateurs.. Voir qu’elle en incitera d’autres à s’y connecter plus souvent. La vie est ainsi faite… Le constat en est là : que cela plaise ou non, « oui le porno s’est construit tel un acteur industriel développant sa propre culture ». Et si cela en dérange plus d’un.e c’est sans doute du au fait que cela ne colle pas vraiment avec notre idéal de « production culturelle », ne répondant pas aux canons du bon goût et de la bienséance. Pourtant, loin du regard inquisiteur du reste du monde, la production peut susciter,sans ses détails parfois excitation, émancipation ou fantasmes.
De ses multiples facettes et des possibilités qu’elle expose, la pornographie est à nos jours devenue un monstre d’inssaissabilité. De la vidéo amateure aux superproductions, en passant par les plateformes live ou les vecteurs de l’influence tels qu’Instagram, Snapchat, Twitter et son très sulfureux alter égo Onlyfans, en 2021 l’industrie de la pornographie pèse très lourd économiquement parlant. Première chose à prendre en considération. Dans la question du temps, l’art de l’érotisation a toujours hésité et existera sans doute probablement encore longtemps. Celui-ci s’est développé et affranchi grâce à la technologie et les moyens de production de la culture de masse, tel que le cinéma ou la photographie. Saviez-vous que la France, berceau du matériel cinématographique et photographique, fut aussi leader de la carte postale coquine pendant les Années folles ? En outre, le porno a permis une certaine libération sexuelle dans les années 70 et 80, accompagnant nos désirs d’émancipation et d’hédonisme. A l’heure ou parler de sexe était encore tabou, le cinéma dit « rose » était alors un média d’éducation sexuelle de référence… et l’est encore aujourd’hui, pour le meilleur et pour le pire. Car si le porno est bien une industrie culturelle, il est aussi l’espace dans lequel la domination masculine est encore la plus criante…

Bien plus triviale, l’idée que le porno pourrait être envisagé comme une industrie culturelle à part entière a commencé à faire son chemin en considérant la multiplication des sujets consacrés dans les médias moins classiques (Les Inrocks, Tracks…) à des porn stars désireux de ne plus se cacher. Ainsi James Deen, Stoya sont , seront consacrés comme les « Brangelina » du X. Non seulement nos contemporains ne se cachent pas, mais en deviennent même plutôt populaires, n’hésitant pas à devenir de véritables influenceurs, leur permettant de glisser vers un tout autre business, parfois aussi lucratif, mais bien moins dégradant. Rappelons là encore que l’industrie du porno, bien machiste dans son essence, ne permet pas une longue durée de vie en son sein.
Signe d’une certaine banalisation/émancipation d’accord; ce qui semble un peu plus inquiétant, ce sont les nombreuses vocations suscitées par le métier de hardeur et autres métiers dérivés du show-business du sexe. La gloire des paillettes associée à la monétisation facile de son corps donne alors des ailes à certains, projetant parfois les plus faibles dans les griffes acérées de dangereux pervers, n’hésitant pas à faire de belles promesses pour obtenir ce qu’ils désirent. C’est ce que révèle le documentaire « Hot Girls Wanted » présenté au Festival de Sundance en 2015. L’envers du décor est beaucoup moins sexy et glamour que les rêves qui inondent de nombreux jeunes se lançant dans une carrière de hardeur. A tel point que le sulfureux Rocco Siffredi aura ouvert son « Université du hard », pour un porno tout aussi rentable et un peu plus « prestigieux » dans ses notions. Le porno, donc, reproduit une forme de star-system, avec ses starlettes et amateurs. Le porno s’adapte, il évolue aux périodes et aux époques qui posent le décor, faisant et refaisant les codes, accompagnés de ses idoles, ses stars et ses esthétiques. Une story originale qui déborde de simples productions audiovisuelles. Il flirte avec l’art, la mode, la musique, véhiculant des messages, délivrant des tabous.

Comme tout électron-libre, si l’idée de voir le porno s’illustrer telle une culture, à proprement parler, peut déranger, n’est-ce pas aussi dû au fait qu’il est impossible de la caser dans l’idée du grand fourre-tout « culturel », l’ensemble de ses productions pouvant vite basculer dans le vulgaire ou le trash ? Reconnaître le pouvoir de cette industrie c’est aussi accepter l’influence que celle-ci a sur notre quotidien, nos envies, nos lendemains. Que l’on soit abolitionniste ou pas, c’est peut-être déjà un pas vers une dé-culpabilisation des utilisateurs et utilisatrices. Mais qui n’aurait pas honte de la pauvreté des représentations de certaines catégories proposées ? Avouons que le beau rôle, comme à son habitude, porte bien souvent un caractère très masculin et que le rôle donné à la femme est bien souvent dégradant, la relayant au rang d’objet sexuel, sans âme, sans vie, sans valeur, si ce n’est celle de la monétisation. D’où le caractère dangereux lorsqu’il éduque les plus jeunes générations.
D’un autre coté, s’il dénature ou souille parfois les avancées de certaines causes, il est aussi un terrain de reconnaissance pour toutes les sexualités, comme celle des trans sortant à peine de l’ombre ou plus simplement, comme un terrain de lutte nécessaire pour en finir avec la culture du viol. C’est en tout cas ce qui semble être au cœur du mouvement de PorYes, et de tout le travail de la réalisatrice Erika Lust qui suscite beaucoup d’enthousiasme et d’espoir dans ses œuvres. L’abolitionnisme semble être matériellement irréalisable, et paraît plus être un désaveu, là où l’érotisme peut satisfaire respectueusement les fantasmes des uns et des autres.
Alors, comment comprendre et mieux accepter le porno ? Reconnaitre jusqu’à son utilité ? En parler peut-il apporter quelque chose de nouveau, déstygmatisant la chose ? Ne fût-ce que pour déculpabiliser nombre de personnes, ses utilisateurs, surtout les femmes qui en regardent, un sujet encore très tabou, les étiquettes étant là encore très machistes. Un mec qui regarde du porno est devenu « normal », « il est un peu porté sur la chose », « …un peu pervers » parfois. Par contre une femme qui avoue regarder du porno est « une cochonne » au mieux, au pire « une salope qui n’attend que ça ! ». Il y a donc encore bien du travail à faire à ce niveau. Et puis aussi de lui assigner éventuellement de regarder ces images différemment, avec recul, et de se demander ce qui nous excite vraiment. Parce qu’il renvoyait à l’intime, au privé, reconnaître l’importance du porno a longtemps été impossible. Mais alors que le désir est une marchandise de plus en plus commune, il est temps d’analyser nos désirs et de consommer différemment. Nous aurions tous à y gagner.