Les méchants…
Des méchants, il y en a toujours eu et il y en aura toujours pour tous les goûts ! Mais à mieux y regarder, si ceux-ci sont incontournables à la réussite d’une bonne œuvre, qu’elle se veuille cinématographique, littéraire ou fantasmagorique, les plus fascinants d’entre eux ne sont-ils pas finalement ceux qui, d’une certaine façon, éveillent en nous la question de savoir s’ils n’ont pas un peu raison ? Au risque qu’on y trouve un écho, où qu’on leur découvre à eux une part d’humanité qui nous ressemble…
Ce n’est certainement pas Hitchcock qui viendra me contredire, plus un méchant est réussi, plus le film passionne et intéresse… Ceux-là même qui veulent changer la phase du monde, transformer le jour en nuit, retourner la table et faire valser tout ce qui s’y trouvait. Ces visionnaires qui pour arriver à leurs fins sont capables d’envisager le pire, de faire des choses pas bien jolies, trucider avec plus ou moins de discernement, quitte à sacrifier la vie de leur poisson rouge. Utopistes malencontreusement distopiques, extrémistes plus ou moins bien attentionnés, libérateurs ascendant totalitaires… Résistants et défenseurs de leurs frères opprimés pour eux, contestataires subversifs pour les autres, dans tous les cas, ces personnages bien souvent charismatiques à souhait ne laissent jamais indifférents.
A mieux se pencher sur la question, on constate que les héros tels que Batman sans la horde d’individus plus ou moins fêlés du ciboulot pour donner un réel sens à leur existence. Enlevez le corrompu Pingouin, la versatile Catwoman ou encore le névrosé Joker, le héros en manque de personnalité se retrouverait tout aussi ennuyeux qu’ennuyant sur les toits de Gotham City, d’ailleurs, le succès de la série « Gotham » ne repose-t-elle pas en grande et quasi unique partie sur le développement des futurs méchants de la franchise ? Beau nombre de ceux-ci n’étaient-ils fondamentalement humains lors de leurs premières apparitions ? C’est là tout la différence entre les méchants d’hier et les méchants d’aujourd’hui… Leurs créateurs ayant compris la fascination développée par le public pour les méchants.

Un chercheur danois, du nom de Jens Kjeldgaard-Christiansen a d’ailleurs étudié la question de très près, tentant de mettre en lien les caractéristiques et l’histoire des personnages avec la psychologie sociale et la théorie de l’évolution darwinienne. En gros, illustrant ses arguments et idées grâce aux méchants.es de la Pop culture, le chercheur tentait d’esquisser une réflexion : Comment et pourquoi catégorise-t-on ce qui est « bien » et ce qui est « mal ». Qu’ils soient issus des univers Marvel, DC Comics, Disney ou Hollywood, tous ces super-méchants ont un point commun : l’envie de donner le ton et de dominer, pour X ou Y raisons, là où d’autres n’ont pas su leur apporter pleine satisfaction… Et bien entendu, peu importe s’il faudra sacrifier l’un ou l’autre innocent sur leur chemin. Un comportement qui, s’il était analysé par la psychologie pourrait diagnostiquer une tendance antisociale, résonne en nous puisqu’il repose une certaine tendance humaine, présentes en chacun d’entre nous. Bien entendu, n’étant pas tous un Dark Vador dans l’âme, la société que nous composons souhaite supprimer ces tendances délétères au possible à l’idée d’humanité. Vous pensez que je m’éloigne du sujet ? Et bien pas du tout, car au final, que cherchent tous ces vilains ? L’amour tout simplement ! Pour Jens Kjeldgaard-Christiansen, à travers les fictions, les héros, héroïnes et autres méchants ou méchantes ne sont finalement que des miroirs de notre réalité. Ils nous rappellent ce que nous sommes du fonctionnement de notre monde, aiguisant notre sens du bien et du mal. A décharge, leurs physiques particuliers amplifieraient leur méchanceté et pourraient augmenter la répulsion à leur égard.
Toutefois, l’opération comprendrait des failles, car en voulant les assombrir, leurs créateurs leur donneraient des particularités humaines, ainsi qu’un certain relief à travers lesquels nous pourrions nous identifier dans nos histoires. A l’instar de Magneto, grand méchant des X-Men de Marvel, dont on justifie la noirceur à cause de son expérience des camps de concentration et le fait qu’il soit un rescapé de l’Holocauste… La douleur qui est sienne éveillant en nous une forme d’empathie qui arrondirait les angles et nous ferait nous poser la question du « Et s’il n’avait pas tort finalement ? ». Si les X-Men renvoient au mouvement des droits civiques, ils renvoient aussi une vision que peut avoir une partie de notre société quant à la question des minorités, souvent stigmatisées. Magnéto c‘est la perception que nous en avons des éléments les plus radicaux… Des radicaux ici nommés les « méchants » en opposition aux modérés et pacifistes comme Xavier et ses X-Men. Une complexité qui dépasse de loin la comparaison aux droits civiques, puisque universalité oblige, les jeunes mutants se découvrent des pouvoirs sur lesquels ils n’ont absolument aucun contrôle, peut aussi donner une certaines résonance à la communauté LGBTQUIA+, où plus profondément encore, à tout ado mal dans sa peau, traversant la période de mal-être par laquelle nous passons tous.

Et puisque nous vivons dans un monde où il semble de bon ton d’ignorer les problèmes (pensant sans doute qu’ils vont se régler tout seuls), le méchant, souvent à l’initiative d’une action visant à trouver une solution, vient bousculer l’ordre établi, les gentils ayant pour mission de défendre cet ordre, venant contrecarrer les plans des vilains, bien qu’ils ne viennent résoudre ici la question évoquée. Celui qui agit sera toujours plus critiquable et dérangera toujours beaucoup plus que celui qui réagit… Et qui ne prend finalement plus vraiment de risque. En clair, lorsqu’un train fonce à toute allure sur un car en panne rempli d’enfants, si vous avez l’option de dévier ce train sur une autre voie sur laquelle est couchée une mère de famille, ne serez-vous pas vous aussi le méchant de quelqu’un d’autre ?
Au final, même sans super-pouvoir, ne sommes-nous pas tous à un moment ou un autre le ou la méchant.e dans l’histoire ? Bien entendu, le narrateur ou la narratrice n’ont absolument aucun intérêt à mettre l’accent sur le comment ils racontent l’histoire, cela aurait pour effet de rendre les vilains, indispensables à leur conte, celui-ci dépourvu de drame n’ayant plus essence à être raconté… Et qu’est-ce qu’un rabatteur sans histoire à raconter ?
Scylla…
