Il est des voyages qui n’ont d’écho que la puissance, la beauté et l’émotion du vécu… La nature, belle, surprenante, généreuse, quant à elle, nous subjugue parfois d’instants rares, auréolés du mystère qu’elle cache avec malice. Imaginons, ne fût-ce qu’un instant, ne fût-ce que pour la beauté du moment, que nous croisions sur notre chemin, un alchimiste nous invitant au rêve….

Profondément curieux de nature, il m’arrive pourtant parfois d’être interpellé, voire d’être freiné par l’inconnu… Dès lors, lorsque je suis invité à « découvrir un restaurant gastro végétal », ce n’est pas sans apriori que je fonce tout de même tête baissée, tout droit vers l’aventure. Parce que, soyons honnête, pour le commun des mortels dont je fais partie, l’aventure gastro évoque souvent l’inaccessible, le pimpant, mettant mal à l’aise, creusant des tranchées dans son sillage. Associé à l’idée d’une cuisine 100% végétale, les clichés vont donc inexorablement bon train… « Vais-je recevoir deux épluchures de légumes dans un bouillon d’orties ? » me demandais-je alors que j’empruntais dans ma voiture ce beau chemin menant vers le château de Bourglinster.

Une fois installés, on nous évoque l’idée d’un menu unique, long de près de trois heures… Note pour plus tard : «  Souviens-toi que le temps est un joueur avide, qui gagne sans tricher, à tout coup, c’est la loi » Baudelaire savait-il déjà que… ? Mais pas le temps de réfléchir, dans cet endroit paisible, à peine quelques tables dressées tout autour de nous, l’intimité est de mise et prêtera à une aventure inoubliable… Mais nous ne le savons pas encore. On nous sert une infusion froide d’une plante et d’une fleur en nous invitant à goûter ces belles feuilles aux couleurs alléchantes, dressées pour nous sur une brindille d’arbre, en guise de décoration. C’est finalement un peu là comme un conte à la «  Alice au pays des merveilles » qui se dessine devant nous, la feuille une fois croquée, l’infusion dégustée, sans écriteau cette fois, que les portes d’un autre monde s’ouvriront devant nous…

S’en suivront près d’une vingtaine d’assiettes, de découvertes, de propositions prêtant à la cuisine une dimension que nous ne connaissions pas. Les formes, les couleurs, les textures, le touché, les parfums, les saveurs… Et l’émotion ! Celle dont nous ne pouvions à aucun instant douter qu’elle viendrait s’asseoir à nos côtés pour s’éprendre de nous et déposer sur nos âmes sa caresse inoubliable et douce. Parce que cette cuisine- là n’est, à vrai dire, pas une cuisine… Pas au sens mortel, telle que nous l’entendons, dans tous les cas. Je l’ai bien compris… Je ne suis pas idiot. On nous invite à nous asseoir, on nous incite à goûter, nous faisant croire que nous allons manger… Car finalement que fait-on de mieux dans un restaurant si ce n’est manger ? Mais tout cela n’est qu’un prétexte… Car la magie utilisée ici n’a d’autre fin en soit que de nous faire rêver !

L’alchimiste derrière cette magie, non dépourvu d’humour, n’est pourtant qu’un homme, dont on retiendra de lui son cœur immense. Un homme qui aura fait ce choix étrange  de ne pas être en cuisine, mais à nos côtés durant toute la durée du voyage. Un homme qui concevra pourtant chacun des mets qui nous seront servis, les imaginant, extirpant ensuite l’idée de son esprit pour la dessiner sur papier et filer tout droit en cuisine, histoire de trouver les bonnes associations, les bons mélanges, les bons dosages. Tantôt hôte, tantôt compagnon, cet homme- là n’aura de cesse  de nous conter une histoire dont il se nourrira avec humilité de notre surprise… Nous expliquant chaque plat, chaque herbe, chaque légume, chaque fruit, chaque épice dont ceux-ci sont constitués. Un homme à qui il aura fallu ce petit grain de folie pour oser envisager ne fût-ce qu’un instant de disposer d’une brigade aussi parfaite, aussi loyale, aussi altruiste, pour lui permettre d’être presque assis aux côtés de ses convives, se délectant de l’instant.

S’il est question ici d’alchimie, de magie, de voyage, il y est aussi question de simplicité… Car s’il n’était  pas étonnant de voir René Mathieu tutoyer les dieux, ce ne serait à vrai dire que juste récompense, c’est toutefois un être humain à la gentillesse et à la générosité sans faille que nous serons amenés à côtoyer durant ces trois heures de découvertes intenses. Un temps presque aussi précieux que celui qu’il prend à sélectionner les ingrédients qui composeront ses formules magiques… Mais ici, pas d’œil de grenouilles, pas de langue de serpents ou de poils d’araignées, juste des plantes, des fruits, des légumes, des herbes dont une grande partie sera cueillie par ses soins dans la nature, celle-là même qui nous entoure. Et puis tellement d’amour… L’amour de son métier, l’amour du « faire plaisir » et l’amour de la vie.

Un voyage long de trois heures peut sembler être long… Pourtant, ce voyage -ci, au lendemain du retour, ne me laissera sur les lèvres qu’un grand et beau sourire tant l’instant a été magique. Ai-je déjà « mieux » mangé ? En matière de goûts je ne sais pas, mais en matière d’amour, je pense bien que là, ce fut ma première fois ! Je ne puis donc ici écrire que « merci » pour la surprise, la découverte, la magie, le bonheur…N’oublions pas que si celui-ci existe, c’est qu’il est fait de ces instants précieux. « Merci » tout en gardant en tête que les mots n’auront, même lorsqu’il me sont aussi nécessaires,  pas suffisamment d’impacts pour définir toutes ces sensations qui auront été miennes. « Merci » parce qu’il n’en est que juste mérite lorsqu’une personne se sied tant à trouver son plaisir qu’en nourrissant le nôtre.

Merci donc, Monsieur Mathieu… A vous et à toute votre équipe !

Scylla…