Coup de sang

Non… Je ne veux pas d’enfants !

Parmi la longue liste des choses qu’on nous impose sous la réserve de la gentille « normalité » bon chic bon genre, qu’on arbore histoire de faire « bien » dans la société, le fait d’avoir des enfants ! Et si jusqu’ aujourd’hui j’ai été plutôt épargné par la chose, me voilà maintenant confronté à la pression sociale du genre… Non sans surprise !

Je me souviens encore de ces épisodes comme s’ils s’étaient joués hier… Ces dimanches après-midi chez mes grands-parents, passés en famille, où le moment fatidique arrivait tôt ou tard, de façon presque systématique, comme s’il s’agissait d’un jeu et tel un cheveu dans la soupe qui glissait avec la délicatesse d’un éléphant. «  Quand est-ce que tu nous ramènes ta petite amie ? »… La question était posée ! Comme d’accoutumée, c’était bien évidement mon grand-père qui posait la question… Ça, c’était une question d’homme après tout, pour l’époque… La leur ! Je ne sais pas s’il s’agissait d’une question posée par hasard ou s’il s’agissait là d’une interrogation subliminale pour anticiper les prémices d’un doute plus que redouté, mais la question était posée et tout le monde s’y attendait. C’était « la norme » à l’époque, dès qu’on était en âge de copuler, on devait copuler…

Bon, à décharge… J’étais, à l’époque, au tout début de mon adolescence et ne m’étais pas réellement posé dans mes choix. A vrai dire, je n’y pensais même pas réellement et étais même encore vierge de tous rapports ! A l’époque genre « dans mon jeune temps » diraient certains, on était encore sage à cet âge- là ! Mais… La question était posée et s’est posée là comme ça, mine de rien, pendant quelques années. Pour ma chance, celle-ci a été définitivement éteinte lorsque mon coming-out officiel a été fait, m’évitant au passage toute la lourdeur de ces questions sans aucun intérêt, qui ont surtout celui de mettre mal à l’aise tant elles te foutent une pression te rappellent « qu’il serait plutôt temps que tu ramènes la dinde à la maison, histoire de la fourrer une bonne fois pour toute ». Genre, c’est ça qui faisait de toi « un homme » aux yeux du reste du monde !

Et quelque part, j’ai été plutôt tranquille avec cette coutume souhaitant aborder sans aucune pudeur, aux yeux de l’assemblée, ta vie privée, l’étalant au passage, aux yeux de ces inconnus dont tu ne savais absolument rien, mais qui eux, pouvaient s’asseoir armés d’un bon paquet de pop-corn, pour se faire mille et un films sur l’histoire de ta vie. Exit les obligations dont je n’avais rien à battre… Pas de petites amies, pas de dindes à fourrer, pas de vieilles traditions perdues dans les méandres du temps. Ma famille avait pris ce soin si particulier d’éviter d’aborder les questions jugées pour la peine « trop privées », car si mon homosexualité avait été plutôt « bien » accueillie, le sujet restait tout de même relativement tabou pour l’époque ! La balle était finalement renvoyée à ma petite sœur qui a dû bien me détester d’y être confrontée avant l’âge… C’était un peu « Lui il est homo, donc on ne veut pas trop savoir, ne posons pas trop de questions ! ». Ainsi, pendant de nombreuses années, j’ai pu fourrer du poulet en toute quiétude, sans qu’on ne m’interroge jamais sur ma vie privée.

« Quelques années plus tard… » un peu comme dans les films, me voilà propulsé dans une époque différente, aux mœurs différentes elles aussi et si, entretemps, il a fallu lutter contre de nombreux clichés, toute la délicatesse du sujet m’a toujours valu de vivre dans une case tranquillité parfaite quant aux questions indiscrètes sur ma vie privée. Sauf que voilà… Maintenant que je suis marié depuis un an et demi, que j’ai une belle maison, avec un garage, un jardin, un chien et une niche pour ce dernier au fond du jardin, les mentalités ayant tout de même évolué avec leur temps, ne fût-ce que tout autour de moi, un jour ou l’autre, « la » question devait tôt ou tard venir poser toute son indélicatesse sur la table. « Et maintenant, vous comptez avoir des enfants ? »…

Stupeur et tremblements… La question était posée, revenant à l’assaut, avec son lot de lourdeur, accumulée sans doute avec toute la frustration de ne pas pouvoir venir se frotter à moi durant des années, sans doute. Pourtant, les choses ont toujours été très claires entre mon ami et moi, elles l’étaient tellement qu’elles l’étaient dans chacun de nos deux esprits bien avant notre rencontre : « Non, nous ne souhaitions pas avoir d’enfants ». Parce que voilà, les gosses c’est bien, chez les autres, avec très très très très très beaucoup de parcimonie. Un peu genre comme les parcs d’attraction, c’est cool d’y aller une fois de temps en temps, genre une à deux fois par an maximum. Les enfants, c’est encombrant, ça prend de la place, ça coûte cher, c’est porteur de plein de maladies, ça fait pipi et caca partout, ça t’empêche de partir en vacances, en soirées, c’est malade, ça vole dans ton portefeuille… Et ce n’est pas toutes les bonnes excuses que les autres trouvent, l’initiative remplie de belles obligations, pour justifier le fait que eux en ont et que ça les fait chier, qui seraient venues nous faire changer d’avis… C’est un peu comme les femmes qui décident de sortir le sein, en toute impudeur, au beau milieu d’une terrasse remplie de monde… « C’est quelque chose de beau de mettre au monde »… Bah sauf que moi j’t’ai rien demandé, donc t’es bien gentil de ne pas venir polluer ma vie avec les obligations sociales auxquelles toi tu n’as pas eu les couilles de tenir tête.

Et donc, depuis quelques mois, je ne sais pas si c’est le confinement, les effets du Covid sur la société, ou celle-ci qui aurait décidé comme par magie de tourner un peu plus rond, mais je remarque que la question nous est posée de plus en plus souvent… « Vous pensez à faire des enfants ? » avec la bouche en cul de poule, espérant sans doute nous voir répondre un « oui, on va demander à une vache de vêler pour nous », sauf que bah non quoi ! Oui, on a décidé de se marier pour protéger notre patrimoine et l’autre en cas de problème, mais c’était là une certaine forme de protection plus qu’autre chose, notre couple étant assez solide pour ne pas avoir besoin d’une coutume religieuse pour se mettre lui-même au piège. Ce qui pourrait prêter à sourire, c’est cette forme d’insistance que les gens qui sont confrontés à notre réponse négative mettent en place : « Mais pourtant les couples gay peuvent adopter ! ». genre, « Ha ouais ? On était pas au courant en fait »… Une petite piqûre de rappel qu’on t’enfonce un peu plus profondément dans la peau avec insistance en te glissant au creux de l’oreille un truc résonnant à la façon « Maintenant que tu peux y aller, vas-y fonce », un peu comme à l’époque quand on te glissait sublimativement un « vas-y fourre la dinde maintenant que t’as l’âge et vas-y bien profond ! ».

C’est donc ainsi que la réalité nous rattrapa, malgré ces nombreuses années de répit… Donc voilà, je le pose là, délicatement, ou pas en fait, parce que je n’ai toujours rien à faire des apparences et des belles étapes par lesquelles il faut obligatoirement passer pour parfaitement briller en société : « Non, je ne veux pas d’enfants… Je n’en veux pas aujourd’hui, je n’en voudrai pas demain, donc barre toi et ne reviens pas me casser les couilles avec cette question… Mais genre jamais ! ». Toutefois, il y a tout de même matière à réflexion et sur cette pression sociale que vous foutez aux gens… Je l’écris souvent, mais un jour où l’autre faudra vraiment commencer à le lire, voir accessoirement à l’appliquer : laissez  les gens faire ce qu’ils veulent de leur cul !

Cordialement et gros bisous !

Scylla…