Oser poser la question du tattoo sur les mineurs…
Du haut de ma forte personnalité et de mes avis toujours très tranchés, si j’aime faire une chose depuis des années c’est « écouter ce que les gens ont à dire ». Souvent, après m’être exprimé à travers un article publié sur #thestormiscoming , il me sied à observer les réactions que mes positions peuvent déclencher… Quitte à tomber dans mon propre piège et à revoir l’avis dont j’étais si convaincu. Et s’il était temps de revoir nos belles certitudes ?!
C’est l’un des articles de #thestormiscoming qui finalement a déclenché les débats les plus intéressants… Une de mes premières fortes prises de décisions, puisqu’un changement s’est opéré sur nos événements tattoo depuis. L’article était publié le 17 avril sous le titre « Être ou ne pas être mineur et tatoué… Telle est la question ! » et faisait suite au récent texte de loi, fraîchement voté, autorisant les 16-18 ans de se faire tatouer sous le couvert d’une autorisation parentale, au Luxembourg. Texte de loi qui remuait le petit monde du tatouage national, dont la fédération des tatoueurs faisait, du refus de tatouer les mineurs, son cheval de bataille. Mon avis, sans équivoque, se faisait l’acabit de la position de ce regroupement dont « The Storm Events ». Interdisant dans la foulée les artistes tatoueurs présents sur nos salons à venir : L’International Tattoo convention rebord et la deuxième édition de la Ladies Tattoo convention, de tatouer les moins de 18 ans.
Si quelques voix, relativement minoritaires, se sont exprimées à l’époque à l’encontre de l’avis présenté dans mon article, il a fallu quelques semaines, pour qu’une discution très intéressante ait lieu avec un ami pour qui j’ai une haute estime… A ma grande surprise, celui-ci, avec qui je suis pourtant la plupart du temps en parfait accord, exprimait son avis de suivre celui que défendait la ministre à l’initiative du tout frais texte de loi. Que se passait-il ? Ou plutôt « Que lui passait-il dans la tête, pour oser remettre en question cet acquis régnant depuis au moins la nuit des temps, a travers notre microcosme ? ». Figurez-vous que ses arguments, devenus miens aujourd’hui ont provoqué une totale remise en question de ma part. Et s’il était temps de revoir nos vieilles copies ?
Ce texte de loi, s’opposant aux vieilles traditions refusant de tatouer les mineurs, existe avec pour argument principal de la ministre qu’il est préférable de voir les 16-18 ans se faire tatouer dans un studio « aux normes » plutôt que chez les scratchers (Comprennez les illégaux, tatouant chez eux ou a domicile dans le total irrespect des règles d’hygiène). Mais tout cela peut sembler bien théorique… Parce que, qui se ferait tatouer avant 18 ans ? Et bien, peut-être bien cette nouvelle génération influencée par le star-system de la télé-réalité et des « stars » de la chanson ou du cinéma qui les font rêver. Aujourd’hui, en 2018, les jeunes ont sur piédestal des personnalités jouant sur leur physique, utilisant à tout va la provocation pour faire le buzz. Ces jeunes abordent des corps sculptés et sublimés par le tatouage devenu une « mode ». Parallèlement, les dernières générations sont ultra puissantes… En 2018, un enfant naît avec un iPhone dans la main gauche, une tablette dans la main droite, les yeux rivés sur les écrans de télévision et sur Internet. Ces jeunes, futurs-adultes-en-devenir-de-demain savent ce qu’ils veulent, du haut de leurs 16, 17 ou 18 ans… Et ils savent l’obtenir ! J’ai personnellement été scotché par le nombre de parents d’accord d’autoriser leurs rejetons à se faire tatouer, bien entendu avec un certain nombre de conditions.
Si l’avis du monde professionnel du tatouage, dont je fais partie, s’oppose clairement à cette possibilité, il est pour acquis évident que si un jeune veut se faire tatouer, il se fera tatouer. Accord parental ou non, si la plupart des studios opposent leur refus une fois la porte de leurs boutiques franchie, il est bon de ne pas oublier que le scratcher ne connait pas l’éthique. Quitte à être et « travailler » dans l’illégalité, autant ne pas y aller avec le dos de la cuillère ! La position des tatoueurs « dignes de ce nom » est donc du pain béni pour les illégaux. Ajouté à cela, il est aussi très intéressant de rappeler que quelques studios pratiquent déjà la chose, et depuis bien longtemps avec l’espoir que le texte de loi ne vienne pointer le bout de son nez. Enfin, pour terminer ce paragraphe… S’il est dans cette minorité des « studios », pour le texte de loi, dont le travail est correct, qui dit studio « en ordre » ne veut pas dire « travail de qualité », la réputation très connue de certains d’entre eux au Luxembourg n’étant plus à faire. Ces studios, ayant plus de rapport avec une boucherie qu’un réel studio de tatouage, arborant des cadavres comme emblème et faisant des promotions à bas prix son cheval de Troie (on attire le public des scratchers avec le prix de ces derniers), ne proposent finalement pas plus de qualité de résultat que les illégaux, et acceptent eux aussi de tatouer les mineurs. Rappelons-le !
Lorsqu’un studio refuse de tatouer un mineur disposant de l’accord de ses parents, au nom de l’éthique, que se passe-t-il ? Dans 90 pour-cent des cas, le jeune se dirigera vers un studio concurrent, ou un scratcher. S’il s’agit d’un studio faisant du bon travail, le studio consulté à la base envoie clairement un éventuel futur « bon client » vers la concurrence. Si cette concurrence fait bien son travail, elle fidélisera un futur client qui aujourd’hui se fera tatouer un prénom, un signe de l’infini ou autre small-job, mais demain se fera tatouer un bras, une jambe et d’autres grosses puces, puisqu’entre temps il se sera passionné pour ce qui sera devenu un « nouveau mode d’expression ». Si l’effet a lieu sur les adultes, il n’y a pas de raison que cela soit différent pour le mineur. Si par contre le jeune se dirige vers un scratcher, ou un mauvais studio, il sera charcuté, et finira quelques années plus tard sous le laser ou éventuellement le cover-up. Mais un pourcentage d’entre eux, trop grand, sera dégouté par la démarche et fuira le monde du tatouage. Dès lors, puisque refus ou non de la plupart des bons studios, l’opération aura lieu, ne serait-il pas bon de se poser les bonnes questions ?
Après tout, le jeune de 16-18 ans, fort de la puissance de sa génération, est dans l’ère du temps… S’il sait ce qu’il veut (je ne parle pas ici de cas hésitants), plutôt que d’opposer un refus systématique et aveugle, n’y a-t-il pas matière à réfléchir et de s’adapter au nouveau mode (j’écrirais presque « monde » de consommation) ? Plutôt que de clamer un grand « non » redirigeant vers les pratiques illégales et dangereuses (rappelons-le), ne faudrait-il pas accepter la chose, sous certaines conditions ? Je pense par exemple à leur autoriser le tatouage sous certaines dimensions maximales (10 à 12 cm par exemple), ne pas autoriser les grandes pièces, les pièces sur les parties visibles du corps (mains, visage, avant bras, cou… etc)… Aborder un comportement éducatif, maîtrisant la chose et plaçant le jeune sur le bon chemin, plutôt que de l’envoyer se faire torturer chez les bouchers, perdant tout contrôle de la chose ?
Durant plusieurs jours, je me suis posé la question… Me torturant presque l’esprit, autorisant l’ouverture de cette porte qui m’avait été enseignée comme fermée à triple tour. alors bien entendu, je restes « contre » la pratique du tatouage sur un mineur (ou un adulte) dont la démarche n’est pas mature. Mais lorsqu’un jeune passe la porte de l’un de nos studios, qu’il a 17 ans et qu’il veut se faire tatouer le nom de l’un de ses proches décédé, la démarche n’est-elle pas légitime ? Par contre, s’il est pour moi évident que la question doit être posée, il semble tout aussi logique que ma décision à ce sujet, sur nos Tattoo conventions, restera quant à elle inchangée. Si la pratique doit être adaptée à l’air du temps, le cadre doit l’être lui aussi. Accepter de tatouer un mineur doit l’être sous un certain couvert : Voir le jeune a plusieurs reprises, discuter avec lui de sa démarche, fixer un rendez-vous lui permettant de se rétracter… etc, conditions que ne peuvent pas proposer une convention. La restriction restera donc et définitivement lors de nos salons au Luxexpo The Box.
Au final, le « pourquoi pas finalement ? » l’emporte et me pousse à exprimer à nouveau mon avis à travers ce nouvel article… Un peu comme on jette une bouteille d’eau à la mer, je lance ici la question. Il ne s’agit bien entendu que de mon humble avis, je ne dis pas qu’il s’agit de LA route à suivre.Mais il me semblait bon de poser la question. Car puisque le jeune se fera tatouer, ne serait-il pas plus pédagogue d’encadrer l’acte, plutôt que de le refuser, tout en sachant qu’il aura bien lieu !
Affaire à suivre donc… L’avenir nous dira si mon avis à ouvert d’autres discutions… Ou pas !
Scylla Pierce
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Crédit photo : Chester Wade