Coup de plume

Putain d’obsolescence…

Nu, allongé par terre, un verre à la main… Mon corps meurt, mon âme souillée… Comme une bouteille à la mer qui ne reviendra plus, j’ai l’impression de ne plus être ou d’avoir été il y a bien trop longtemps. « Jeune encore », ainsi soit-il… J’ai été un jour peut-être, encore faudrait-il que nos corps s’en souviennent. J’ai crié, j’ai pleuré, j’ai mordu, encore, encore et encore… Mais je ne sais pas pourquoi cette amertume, cette meurtrissure et ce parfum de “je ne sais quoi” qui annonce en soi l’obsolescence… Cette fucking obsolescence qui ronge mon essence en rigolant de moi. 

Face au miroir, les yeux posés sur ce corps qui n’en est plus, je me rappelle souvent d’oublier que j’ai été. Je ne peux plus me voir lorsque mes yeux s’attardent sur ce torse qui me susurre au creux de l’oreille que la confiture me dégoûte tant, tant je lui ressemble. Ils fixent ce que j’ai été, avec cette odeur de souffre qui n’annonce que l’idée de la décomposition. Je me plais à mourir dans le verbe, mais la déconfiture m’embourbe dans son ivresse, lorsque je me fais rappeler à son souvenir, triste réalité et douce amertume. Faut-il encore s’allonger pour mourir ?

Une cicatrice dont j’ai oublié l’histoire apparaît encore plus que dans mon souvenir. Parce qu’il faut discerner le bien du mal, le sillage de cette noirceur d’âme qui a planté ses cris jusque dans mon échine, qui ne demandait rien, à Dieu ou à personne. La chair tiraillée, parfois se laisse encore caresser, juste avant d’ouvrir les yeux et de fuir lorsqu’elle se rend compte que le temps est devenu sa propre fin… délétère de ne pas oublier. La griffure laisse deviner que la blessure ne cessera jamais de se rouvrir… Et lorsque le sang coule, plus rien ne m’étonne. Est-ce là la seule délivrance à laquelle j’ai fini par avoir droit !

Il n’y a d’obsolescence que lorsque l’amour s’en est allé… Mais la douleur n’existe plus, alors même que l’on pourrait croire que tout crie à la mort, c’est le silence qui berce cette scène, lumière crue sur une nature presque morte. En devenir, la putréfaction de mon âme coule le long des chiffres du calendrier. Respirer m’est devenu impossible, à l’heure où ces morts traversent mon esprit. Il ne faut pas chercher la logique là où le baiser du temps s’est posé… C’en est à se demander comment il a eu le mauvais goût d’accepter de poser ses lèvres sur cette peau détendue au possible.

On se remet de tout, sauf du temps qui passe et de la trace qu’il finit par laisser sur nos corps… C’est gravé dans la chair comme un tatouage disgracieux. On est allongé sur le dos, là, à attendre la fin… Une porte qui claque, alors que plus rien n’existe. Un râle s’échappe de ma bouche… j’aurais aimé qu’il soit le dernier. Faut-il vraiment se justifier à la mort, pour que celle-ci daigne enfin nous apaiser ? Je ne veux plus de ce sang qui irrigue mes organes, il irait tellement mieux à décorer le plafond que je fixe depuis tout à l’heure.

Je ne fermerai plus jamais les yeux… Juste histoire de ne pas m’endormir en route. Paumé que je suis, je serais encore capable de me perdre dans les limbes, sur le Styx où je navigue déjà un peu, je n’ai même plus pied. Plus rien n’existe et plus rien n’a d’importance. Qu’ais-je laissé derrière moi, sur cette vie dont je n’ai sans doute pas profité comme j’aurai dû. Ce goût qu’ont laissé les médicaments dans ma bouche me donnent la nausée. Une lame seule n’aurait-elle pas suffit ? Putain d’obsolescence… Tu auras eu raison de moi… Sale pute !

Scylla…