Coup de sang

Séropositif…

Nous sommes le 1er décembre…  Journée mondiale du Sida. Et si demain, je me réveillais et qu’on m’annonçait que j’étais séropositif…

Il me faudrait sans doute m’asseoir… M’asseoir pour éviter de m’écrouler avec le reste du monde, tout autour de moi. M’asseoir, parce que ce monde là, à l’instant même où j’entendrais ces mots, semblera m’annoncer qu’il tournera dorénavant sans moi… Un peu comme quand on est licencié de la boite qui nous embauchait jusque là… Fini les pots entre collègues, les éclats de rires devant la machine à café, les confidences en allant déjeuner. En l’espace d’un instant, l’impression qui s’offre à moi quant au regard des autres, sera celui d’un calme plat, un silence pesant, lorsque je passerai dans la rue, les yeux du monde rivé sur moi… Moi, plongé sans ma solitude profonde et amère. La crainte que je susciterai, la peur de contaminer de mon coté, et celle d’être contaminé de l’autre. La honte aussi… Un secret à garder ? Un sujet de conversation à table ? Ces secondes là, dans tous les cas, ne pourraient pas m’apporter autre chose que ces éternelles questions, tranchantes comme des lames de rasoir, car ma vie, à l’instant viendrait de changer. L’envie d’en finir ? Puisque celle-ci s’annonce proche, pourquoi ne pas abréger les souffrances avant que celles-ci ne s’éprennent de moi ? Un peu comme dans un jeu vidéo… J’ai foiré ma partie, alors je suicide mon personnage, je recommencerai une nouvelle partie sans me planter cette fois… Du moins en essayant de… Sauf que cette partie là, ne se recommence pas !*

L’annoncer à la famille ? Mais comment le prendraient-ils ? Et comment leur annoncer… Être accompagné ? Bien sur des structures existent et proposent un travail merveilleux. Je me vois déjà leur expliquer « tiens au fait, ce serait sympa de venir avec moi à La Croix-rouge, il faudrait qu’on vous fasse une brève présentation de quelque chose dont on ne vous parlera pas avant d’être sur place »… J’en devines certains d’entre vous sourire, mais avez-vous pensé à cela ? Vous vous êtes déjà demandé comment expliquer à votre entourage que vous êtes dorénavant « séropositif » ? Et les amis ? Son compagnon ou sa compagne ? Les collègues ? Les voisins ? Que vont-ils penser de moi ? Cela n’en reviendrait-il pas un peu au jeu du « qui restera, qui restera pas ? ».

Parce que le Sida tue… Un peu comme le tabac (sauf que « le tabac c’est pas grave »). Le slogan résonne encore dans ma tête… comme dans celle de beaucoup de gens de ma génération et des générations « d’avant ». Ce gens qui ont connus l’enfer du Sida, cette « punition divine envoyée du ciel pour punir les homosexuels » comme certains ont pu le prononcer à l’époque des mots abjectes et inaudibles. Comme si l’infection n’était réservée qu’aux noirs et aux PD ! Ces générations qui ont été ébouillantées et sur-informées par les risques… Celles-là même qui ont tremblé et qui continuent encore, sans doute, de trembler avant l’acte, un peu comme si Dieu avait pensé que l’être humain s’était trop abandonné aux plaisirs de la chair et qu’il fallait maintenant freiner la chose. « L’homme maintenant jouira dans la crainte »… La peur, c’est « le » mot ! Celle de « finir » comme Freddy Mercury et ces autres stars parties trop vite à cause de cette putain de maladie. Et puis ces gens qu’on a connu, ces amis « partis trop tôt », qui n’étaient pas des stars, pas dans la vie des autres en tout cas, mais dans la notre tout simplement. Ces amis qu’on a connu, que j’ai connu et qui sont morts du Sida.

Les générations… Parlons-en justement ! C’est un peu comme dans tout… Tout bouge, tout change, tout évolue, tout brûle pour refroidir ensuite et ne plus faire mal… Un peu comme si l’ont pouvait s’habituer à la douleur et faire comme si celle-ci n’existait pas, un peu par pure provoc. Il y a eu cette génération désenchantée, les générations ébouillantées par la peur. Celles-là même qui ne peuvent pas imaginer l’acte sexuel sans même penser au préservatif. Limite… Si on pouvait en mettre deux, on le ferait. Vous rigolez ? Mais qui, qui de nous (issus de ces générations) n’y a pas réellement pensé un jour ? Aujourd’hui, règne par contre les générations qui s’en foutent, les dé-generations… Ou qui donnent plutôt l’impression de… Le préservatif ? Pourquoi faire ? « C’est chiant », « c’est encombrant », « c’est pas facile à introduire dans la conversation ». J’ai pour le coup l’impression d’être vieux, mais j’ai l’impression de ne pas comprendre ces jeunes d’aujourd’hui… Auraient-ils raté toute cette casi-propagande qu’on nous a faite à l’époque quant à la « nécessité de se protéger » ? Parce que jusqu’à preuve du contraire, la prévention, c’est un peu comme la ceinture de sécurité, il est obligatoire de l’utiliser ! Sauf que si la loi « oblige », l’homme quant à lui décide. Et combien d’entre nous ne prennent pas de gros risques en roulant, en toute inconscience du code de la route ?

Parce qu’après cette vague qui nous a ébouillantée, il y a eu cette mode de la roulette russe… Celle qui veut que certains d’entre nous « prennent le risque de… » quitte à choper un truc. On s’enfile les partenaires comme on enfile les perles d’un collier, sans compter, ni pour soi, ni pour l’autre et sans se protéger. Sans se poser « La » question, sans comprendre parfois. Parce que le risque c’est risqué et que tout se qui est risqué est tentant. Un peu comme si cette dé-génération là s’éclatait au pieu et dans la vie, faisant un gros FUCK au destin qui les a surchauffé en les surchargeant du poids du risque, de la douleur et de la mort. Le pied de nez une fois terminé, le pied pris en toute inconscience, sans veiller au lendemain, on s’en est tellement éclaté que le lendemain nous a envoyé dans le mur. Amen, merci, au suivant…

Retrouvez Sandy KUBAJ – Chargée de Direction HIV Berodung, ce 1er décembre, 15h, dans l’Entretien en 5 temps

Le Sida, comme on l’appelle… Le VIH, comme « ils » disent aujourd’hui. Une autre appellation, comme ce choix stratégique de donner un nouveau nom à une société qui était en phase de s’écrouler, mais dont on a changé la direction. On change de route, du coup on peint la voiture dans une couleur « plus tendance ». VIH, ça fait moins peur que Sida. Mais la peur ne s’en est-elle pas partie aussi pour de bonnes raisons ? Car si le Sida peut encore tuer, de nos jours, il peut aussi se soigner… Car être séropositif aujourd’hui se soigne réellement, ce traitement permettant de vivre comme tout un chacun… Sans aucuns signes, allant jusqu’à nous promettre l’ère de « l’indétectable », qui ne tue plus, qui ne contamine plus, qui ne discrimine plus. Certains parleront d’une rémission ressemblant à une prison, l’homme étant devenu l’esclave du médicament. Sauf que s’il y a quelques années les pilules s’accumulaient, aujourd’hui celles-ci sont réduites à leur stricte minimum… Et qui parmi nous n’est pas drogué aux anti-douleurs dont on se goinfre à chaque petit mal de tête ?

Un choix nous diront certains… Car s’il est simple de se protéger, il est aussi simple de ne pas le faire. La vie appartient à chacun, on nous la donne, comme un confie quelque chose de fragile. Veiller à ne pas la briser est un choix libre à chacun… C’est dur à entendre, mais c’est un fait… Et personne ne peut juger, car lorsque nous rentrons chez nous le soir, que nous refermons la porte derrière nous, personne n’est là à nous attend pour nous débarrasser du poids que nous portons sur les épaules comme on peut nous débarrasser d’un manteau devenu trop lourd tellement il a absorbé la pluie et le froid. Pas de jugement, juste du respect… Même si celui-ci se veut être accompagné de l’incompréhension et de l’injustice.

A l’aube d’un 2019, on ne guérit pas du VIH qui est l’infection. Quand on a le VIH, c’est à vie… Mais en gros, si un séropositif fait le choix d’aller vers une vie saine, où il prend soin de lui, son infection ne se devellopera pas. Il y a même de fortes chances que le cauchemar disparaisse avant d’être. Mais pour cela il faudra revendiquer une vie « saine »… Finalement, y a-t-il réellement une différence entre un séropositif et nous ? Je ne le pense pas. Car nous sommes tous « séropositifs » de quelque chose. Un alcoolique risque de mourir s’il n’arrête pas de boire… Un fumeur a de forte chance de choper un cancer du poumons s’il n’arrête pas de fumer… Et moi, dans mon éternelle obstination à ne jamais être satisfait, à toujours voir le négatif avant le positif, à sans arrêt de poser trop de questions, si je ne me prends pas en main, n’ais-je pas de forte chance de finir au mieux dans un hôpital psychiatrique, au pire écrasé au bas d’un immeuble de quarante étages ? Si certains sont séropositifs d’une maladie, ne suis-je pas quant à moi séropositifs de moi-même ? Bien entendu, il est très important de rappeler que si on peut choisir d’arrêter de fumer ou de boire, on ne peut pas faire le choix d’arrêter d’être séropositif.

Demain je pourrai me réveiller avec l’annonce que je suis séropositif… Si tel était le cas, ce ne serait pas un drame. Heureusement pour moi, la lutte a évolué et a gagné du terrain sur la maladie. N’oublions pas au passage que celle-ci a plein de petits amis qui se feront eux-aussi un plaisir de nous pourrir la vie. La prévention nous permettant de nous éclater à deux, à dix, sans risques de quoi que ce soit, y compris de finir à trois, là où il vaut mieux parfois être deux ou seul. Ce thème, j’ai eu envie de l’aborder dans un article, parce que j’y suis sensible tant que la vie voudra de moi, j’ai envie de dire ! Un peu comme un hommage à ces gens que j’ai connu de prés ou de loin… De « trop prés » parfois, comme j’ai pu le penser à l’époque. Demain, sera un jour pas comme les autres, prenez soin de vous, protégez-vous car la vie est précieuse. La notre et celles des autres, y compris celle des gens avec qui l’ont couche pas…

Scylla PIERCE

* Rappelons qu’il s’agit d’une vision des choses qui m’appartient et qui n’engage que moi. Loin de moi l’idée de vouloir noircir le tableau et manquer de respecter à une personne séropositive qui pourrait bien le vivre.

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