Tu vois papa…
Tu sais Papa, c’est trop facile… j’y mets une majuscule et pourtant c’est bien l’écho d’une minuscule que tu laisses dans ma mémoire. Comme un fantôme qui se promène, je retourne souvent dans cette pensée qu’est mon enfance. Et sous les draps posés là pour ne pas laisser la poussière faire ses ravages, je ne trouve finalement des morts dont j’aimerai oublier qu’ils ont un jour existés…
Tu vois papa, lorsque mes rêves s’écrivaient encore à l’encre de lumière, j’aurai bien aimé de ce modèle que tu aurais du m’être, mais pour cela aurait-il un jour fallu que tu lances à la mer cette bouteille que tu tenais à la main, avant de me l’envoyer à la gueule. Les poings cognaient dans les murs et le cri dans l’escalier, pendant que les miens donnaient échos au silence de tes yeux fermés. J’ai dû broder ma vie seul, de fils en aiguilles, sans repères ou ta main dans le dos, qui aurait à défaut de me permettre de mieux avancer, aurait au mois eu pour mérite de me rassurer. Comme un petit garçon paumé que je resterai toujours tout au fond de moi, j’ai du apprendre à grandir seul, pendant que ta voix au lieu de me guider n’avait de cesse que de m’accabler…
Tu vois papa, lorsque je pleurais du refuge le chemin ne pas trouver, c’est la puanteur de ton haleine alcoolisée que je n’ai pu que veiller. Sur des morceaux de verre j’ai du marcher les pieds souvent nus, pour me frayer un chemin dans la peine ombre et dans la peur. La tête penchée sur le coté, de tes cris violemment enfoncés, je ne garderai que l’empreinte d’un silence assumé. Une amertume qui m’a gravé à vie, jusque dans les veines, dans le sang et dans l’encre. Une plaie ouverte dont on ne sait si un jour elle pourra se refermer ou si elle finira par pourrir. Et cette main que je n’ai absolument jamais su trouver lorsqu’il s’agissait de me relever… Parce que même lorsqu’un prince est petit, il a besoin que le roi lui montre comment construire un royaume, sans l’ombre du bourreau pour menacer ses chutes…
Tu vois papa, une blessure lorsqu’elle est profonde fini toujours par cicatriser, mais elle laisse une cicatrice. Trace indélébile du passé qui nous rappelle, lorsqu’on met le doigt dessus, toute l’amertume de la vie et des erreurs qu’on ne pourra jamais oublier, à défaut de pouvoir les pardonner. Je vis avec ce poids qu’un jour je pourrai peut-être un jour balancer à l’eau, comme on balance un cadavre dont on ne sait plus quoi faire. Les bouteilles moi j’ai su les larguer dans cette mer immense, sans que jamais personne ne les repêche… Ou d’autres que toi. Ces hommes qui n’auraient jamais du jouer un rôle dans ma vie, alors que j’en cherchais un autre. Lorsque ma main esseulée a du faire son chemin sans que tu ne sois là pour guider ses pas, j’ai du trouver d’autres dieux à regarder…
Tu vois papa, aujourd’hui tu me reproches l’absence que toi tu m’as donné pendant tout ce temps… C’est tellement trop facile de se retourner et de jouer les innocents, alors même qu’il serait tellement plus compliqué de regarder de l’autre coté de ton miroir. Mais la réalité que tu fuis depuis des années est encombrées de pendus dans l’escalier. Et moi, petit garçon paumé, j’ai du les contempler pendant beaucoup trop longtemps, alors à mon tour j’ai choisi d’avoir les yeux fermés, pour à autre chose pouvoir passer. Je cherche toujours cet homme que tu étais… Au fil du temps mon regard s’est détourné pour construire celui que je suis à mon tour. J’ai déposé le couteau que je gardais sous mon lit pour mieux pouvoir dormir, le laissant là rouiller, loin derrière moi. Comme tu ne le saura sans doute jamais…
Tu vois papa, demain c’est dans le silence que la mort son baiser déposera. Comme une triste histoire qui fini mal, j’ai fait une croix sur une fin qui s’avérerait malgré tout heureuse. Les pages sont tournées et ton livre à toi s’en est terminé. Ce conte là n’aura finalement pas été à la hauteur… Où aller finalement ensemble lorsqu’on ne s’est jamais trouvé ? Je ne peux plus espérer que la nuit soit tranquille, parce que je n’ai plus que cette force pour toi. Et même si je sais que l’amour n’est pas gratuit, s’en est finalement bien assez de te voir tanguer la bouteille à la main, les pieds posés dans un monde qui n’appartient plus qu’à toi. Il faut un jour conclure et ces maux seront les derniers que je poserai sur une histoire vide de sens. Tout de noir habillé, je reste planté là pour deux minutes de silence, la pluie ne tombe plus, comme les larmes.